21 mai 2023 - Crégols.
Si nous étions imprécis par la météo sur notre départ, ce dimanche 21 mai, pour la très belle rando entre Causse et Lot, les indications qui suivent « plus précises tu meurs » m’ont été communiquées par Jean-Marie (un grand merci à lui !) : un parcours de 14 km 553m, une durée de 06h55mn06s, avec un dénivelé de 506m ( + et -), pas toujours facile à la montée et très dur à la descente. C’est vrai qu’à 8h30, le plafond (du ciel !) était très bas et surtout beaucoup de chèvres sur les collines. Mais après un petit sondage « allons-y, allons-y pas » 14 âmes, formant un cercle, bien couvertes et bien protégées des gouttes montraient une insistance pour cette aventure.
Après un trajet d’un peu plus d’une heure sous de belles averses, nous voilà rendus à Crégols, petit village connu mondialement parmi les spéléoplongeurs. La principale source du village n’est autre qu’une résurgence devenue un haut-lieu de la plongée souterraine au sein du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy qui bénéficie également du Label Géoparc mondial Unesco. Ici la nature est reine et la géologie se découvre dans les paysages superbes en surface comme dans les profondeurs de la roche.
Nous oublions la pluie et « frais comme des gardons », nous débutons notre randonnée en empruntant « de pieds fermes » le sentier karstique en contrebas du village qui longe le Lot jusqu’à la résurgence de Crégols. Elle est formée de 3 griffons (sorties) alignés au pied d’une petite falaise. le premier griffon coule rarement seulement en forte crue, le dernier fonctionne très souvent mais seul, le griffon du milieu est pénétrable par l’homme. C’est de là que partent les explorations réservées aux plongeurs aguerris par cette entrée basse où se cache un vaste réseau noyé, 1360m de long dont 1240m en plongée.
Il y a 150 millions d’années bien avant l’arrivée du premier hominidé, une mer occupait tout le Bassin Aquitain dont le Quercy est la plage. Une régression marine se produit, les calcaires émergés se karstifient. Karst (dérivé du massif slovène Kràs) décrit donc tout massif calcaire où les eaux de précipitation circulent au sein de la roche. Les phénomènes géographiques qui en résultent sont dits « karstiques ». Puis on a un retour de la mer (transgression) entraînant le dépôt de couches de calcaire ou de marnes. Lors de la surrection des Pyrénées il y a 40 millions d’années, de fortes pressions tectoniques plissent les couches de calcaire créant au sein de la roche des fissures par lesquelles les eaux météoriques s’infiltrent et disparaissent vite dans le massif calcaire en creusant des réseaux hydrographiques jusqu’à la résurgence au niveau de base du karst.
Dans le Quercy, une part importante des réserves d’eau douce est stockée dans les aquifères karstiques. Ainsi le Causse de Limogne avec sa puissance de 300 m de calcaires jurassiques, très fortement karstifié constitue un véritable château d’eau naturel qu’il faut protéger de la pollution chimique ou bactériologique. Nous continuons ce chemin qui longe le lot d’une eau limpide occupée par endroits d’herbes aquatiques (myriophyllum ou ceratophyllum) qui donnent un vert émeraude et une luminosité exceptionnelle au Lot.
Nous traversons la départementale pour entamer sur la droite, une belle longue montée d’herbes hautes, les bâtons, les sourires et les plaisanteries nous aident aussi, car la pluie a bien commencé son travail d’imprégnation, de la capuche aux chaussures. Mais cette végétation luxuriante dévoile, les petites fleurs roses du géranium « herbe à Robert », beaucoup d’orchidées « orchis », Singe, Bouffon, Bourdon et des Céphalanthères. Le chemin s’élargit, se tapisse de cailloux. Nous amorçons une petite descente qui nous mène dans les sous-bois où les chênes du Quercy les noisetiers voient leurs troncs envahis de plantes parasites (mousses lichens ..) dont les branches biscornues nous offrent un paysage pour film à grand suspens. Il faut avouer que ce sentier qui tournicote, en gagnant du dénivelé, nous guide vers la chapelle Sainte-Croix et son point de vue. La vue est absolument fantastique : nous surplombons Saint Cirq Lapopie et le versant opposé, la rive droite du Lot (Tour de Faure). C’est l’endroit idéal pour notre pause-café, nous ne nous lassons pas de cette vue ! La longue descente caillouteuse nous mène vers la départementale D42 que nous traversons pour être immédiatement happés par le panorama que nous offre le Cirque de Vènes !! Déjà 12 :00 et il est temps de regagner Crégols pour notre déjeuner, quelques pas sur la D42, très fréquentée et vite « dégageons en touche » sur la gauche pour entamer notre descente sur le village, attention aux genoux fragiles, la pluie a quelque peu rendu la terre détrempée, la piste glisse !!!
Mon Dieu, quelle chance nous avons, la pluie a cessé et 2 barnums nous attendent avec tables et bancs, près de la mairie. Il faut dire que la veille, le village fêtait le départ de la transhumance et nous profitions des restes de cet événement ! Merci Mr le Maire de votre visite. Il faut dire que nos pique-niques sont toujours bien appréciés : les incontournables apéritifs de Philippe font toujours « fureur » et bien sûr la bonne humeur du groupe est en adéquation !
Mais que voit-on ??? 1, 2, 3 rayons de soleil pour nous inciter à plier tables, bancs et reprendre notre 2ème tronçon du sentier karstique que nous débutons par le chemin de la Tune. Nous entamons une montée en diagonale, bien longue, les pieds dans l’herbe haute bien mouillée : c’est vrai, les estomacs sont bien pleins aussi (la cause, trop de gâteries, trop de liquides peut-être !). Mais nous atteignons quand même la crête, nous bifurquons sur la droite pour découvrir une citerne naturelle à eau que l’homme a créé, profitant d’une petite zone argileuse qui de par sa nature, permettait de mieux conserver l’eau indispensable pour les hommes, les bêtes et l’agriculture. Que de curiosités !! Le chemin file plein sud, descend une combe puis remonte sur le plateau.
Les indices de petits bâtis traditionnels : une gariotte dont les pierres sont disposées de façon à renvoyer l’eau de pluie en dehors (abri pour une personne et son chien !), une casselle (plus grande) à usage varié : bergerie, étable, habitat provisoire. Sur la crête, nous progressons quasiment tout le temps entre les murets de pierre sèche sur un chemin de pierres qui nous mène à la phosphatière. Du promontoire, la vue plonge dans un gouffre d’une quinzaine de mètres de profondeur aux parois couvertes de mousse, lierres et fougères. Exploitées à partir des années 1865 dans le Quercy. C’est une paléocavité qui a été comblée par des sédiments phosphatés à des temps géologiques entre 50 et 20 millions d’années.
Dès le début de son exploitation, les paléontologues voient surgir des fossiles remarquables : rhinocéros, lémuriens, tigres, chauve-souris. Le matériau ne vient pas des profondeurs mais d’un remplissage de phosphates et de restes d’animaux dans l’entonnoir d’une cavité préexistante, Il y a 30 millions d’années, de grandes cavités karstiques peuplées de gigantesques colonies de chauve-souris. Au sol, s’accumulent le guano (déjection), des cadavres de chiroptères et ces matières riches en phosphates se sont lentement muées en roche. Dans la continuité, nous profitons du point de vue sur la vallée de Bournac. Une question nous tarode : doit-on emprunter le chemin de retour pour personnes aguerries et interdit par temps de pluie ou rester humbles et bien dans nos chaussures ? Finalement, le chemin correctement balisé nous convient amplement : il serpente sur la crête forestière entouré de beaux murets hauts dont un nous interpelle qui nous mène vers les vestiges d’une ancienne ferme modèle qui nous permettent d’essayer une reconstitution des bâtiments : une habitation principale pas très grande, les ouvertures minimales dues sans doute au fameux « impôts sur les fenêtres » préexistant à l’impôt sur le revenu, lequel n’a été créé qu’en 1914. On peut dire que l’ensemble est remarquablement bien organisé. La porcherie, l’enclos des moutons, la bergerie, la casselle (poulailler), la citerne naturelle, creusée dans la roche probablement enclose et couverte et qui devait alimenter tout ce beau monde et le potager tout prêt. Il semblerait que la dépopulation commence à partir des années 1880, les valets de ferme et les journaliers allant notamment découvrir les joies du travail dans les mines de Decazeville et la 1ère guerre mondiale va accentuer le déclin des campagnes.
Nous rebroussons chemin et attention le lieu est spectaculaire, époustouflant et grandiose : l’igue de Crégols !! 80m de large, 30 à 50m de profondeur, elle ne donne pas dans la discrétion, cet abîme est exceptionnel pour la France. Pourquoi de mémoire d’homme, le gouffre ne s’est jamais rempli d’eau ? Sa formation résulte de la dissolution progressive du calcaire par l’eau qui provoque la formation de « vides » qui vont provoquer un affaissement du sous-sol. Le phénomène, typique des milieux karstiques est donc ici en relation avec la source captée de Crégols qui draine les eaux d’une partie du Causse de Limogne.
Au milieu de l’igue, un trou entre les rochers éboulés est connu pour exhaler un courant d’air particulièrement frais et sensible l’été. Les espoirs de découvertes spéléologiques y sont faibles car nous sommes là au sommet de l’énorme éboulis qui occupe tout le fond de l’igue. En revanche, peut s’y cacher une microfaune souterraine troglobie encore très mal connue, et il est très possible que de nouvelles espèces puissent y être découvertes. C’est en tout cas ce que laissent penser les premiers échantillonnages réalisés sur ce site dans le cadre d’une étude portée par le Parc, en collaboration avec le comité départemental de spéléologie du Lot et le Muséum national d’histoire naturelle. Une végétation exubérante se développe au pied des parois ombragées.
« Troglobie » se dit d’une espèce qui ne peut pas survivre ailleurs que dans les grottes : Oritoniscusvandeli (3mm), ce petit cloporte, fréquent dans les grottes du Quercy a notamment été observé dans l’igue de Crégols.
En partant de l’igue de Crégols, le sentier descend raide dans une combe. La pente s’adoucit progressivement, nous voici au fond d’un vallon. Une prairie allongée en occupe le fond. Pas de trace d’eau visible en surface : c’est encore une vallée sèche. On retrouve un chemin confortable que l’on suit jusqu’aux abords du village. Les prairies en fond de combe profitent d’une humidité préservée par un mélange sous-jacent de castines et d’argile. Aménagées voire drainées autrefois par les paysans, ces surfaces planes sont utilisées pour du fourrage voire ensemencées de céréales.
Tranquillement, nous atteignons le village et nous regagnons les voitures : mais qu’il fait chaud après toute cette journée de curiosités et de bonne humeur !!
Merci à vous tous d’avoir rendu ce dimanche aussi plaisant même si les débuts nous avaient rendu un peu sceptiques !
A bientôt de tous vous rencontrer sur nos beaux chemins lotois et autres !!